Peut-on promettre de sauver des vies au détriment de la vie sur Terre ? Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) sont formels : le réchauffement climatique et l’érosion de la biodiversité menacent gravement la santé de centaines de millions de personnes. En effet, les déterminants majoritaires de la santé, devant l’accès aux traitements, sont environnementaux et sociaux. Malgré cela, le monde de la recherche dans le domaine de la santé s’oriente massivement vers le développement de biotechnologies, nécessitant des infrastructures industrielles et extractivistes dont le fonctionnement est justement à l’origine des problèmes environnementaux et sociaux. Observant ce paradoxe, nous souhaitons ouvrir la discussion afin de repenser la recherche en santé pour qu’elle bénéficie au plus grand nombre, dans le respect des limites planétaires.
La recherche en biologie et en médecine a permis la mise en place de dispositifs de soins qui ont contribué à des progrès considérables dans le traitement des maladies. Il n’est pas question ici de remettre en cause ces progrès et leurs bénéfices. S’appuyant sur ces avancées, la recherche biomédicale jouit toutefois d’une sorte de carte blanche lui permettant tous les excès. Ainsi, les biotechnologies sont largement financées par le « Plan santé 2030 » français et par « Horizon 2030 » au niveau européen. Un objectif affiché de ces financements est « de positionner et de maintenir la France parmi les leaders mondiaux des biothérapies » grâce à une « stratégie d’accélération » révélant, s’il le fallait, que les outils biotechnologiques sont devenus des objets de croissance économique plus que des objets de soin. De fait, les rares recherches de pointe issues des biotechnologies qui réussissent à produire des traitements efficaces donnent lieu à des traitements aux coûts exorbitants bénéficiant avant tout aux plus riches.
Par ailleurs, la marchandisation de la santé incite les scientifiques à faire des promesses toujours plus exagérées, souvent surestimées, qui ne pourront pas s’appliquer à grande échelle et dont les retombées réelles ne sont jamais évaluées. Cette fuite en avant pousse à produire toujours plus d’études s’appuyant sur des technologies voraces en énergie, matériaux et données, parfois au détriment de la pertinence de la question scientifique posée. Ces promesses ne questionnent jamais la potentielle contribution des découvertes à venir aux bouleversements environnementaux et aux injustices sociales. Des directions ultratechnologiques sont alors prises au détriment d’approches plus sobres et de stratégies de prévention des risques sociaux et environnementaux qui sont largement ignorées, malgré un potentiel sanitaire important.
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