Le Conseil constitutionnel n’a pas eu besoin d’user de raisonnements tortueux pour mettre un terme, jeudi 7 août, à la controverse politique hexagonale la plus chaude de cet été. Le Parlement, en introduisant sans limitation de temps ni d’usage, par la loi Duplomb votée le 8 juillet, une dérogation à l’interdiction des néonicotinoïdes, dont l’usage est proscrit en France depuis 2018, Or ce droit est précisément garanti par la Charte de l’environnement, un texte adopté à l’initiative de Jacques Chirac en 2004 et intégré l’année suivante dans le « bloc de constitutionnalité » français.
Pour juger inconstitutionnelle la disposition la plus controversée de la loi Duplomb , les neuf juges de la rue de Montpensier ont relevé que la dérogation accordée par ce texte couvre », qu’elles soient menacées ou non par des parasites, pour un temps indéterminé, alors que les produits en question (…)
Alors que les mêmes juges avaient, en 2020, donné leur feu vert à des dérogations permettant l’usage de néonicotinoïdes pour un temps limité et pour les seules betteraves, ils ont estimé cette fois que le législateur, en rejetant tout encadrement pour réautoriser des produits potentiellement dangereux, avait dépassé les bornes de la Constitution.
Limpide, clairement motivée par des données sanitaires alliées à l’état du droit, la décision tranche juridiquement un débat où les constats scientifiques avaient été relégués à l’arrière-plan par une coalition d’intérêts économiques, corporatifs et politiques, mêlant professionnels de l’agriculture intensive, droite et extrême droite, au nom de la compétitivité. Les sages de la rue de Montpensier, par cette décision marquante, consacrent la valeur constitutionnelle de l’écologie et se posent en protecteurs du droit à un environnement sain. Tout en conservant la marge d’appréciation utilisée en 2020, ils indiquent au législateur qu’il ne saurait jouer sans garde-fou avec la santé des Français.
La censure de la disposition la plus contestée de la loi Duplomb signe une nette victoire pour les 2,1 millions de signataires de la pétition qui en réclament l’abrogation. Mais ce succès, partagé par la gauche, qui soutient cette revendication, risque paradoxalement de priver cette dernière d’un thème mobilisateur pour la rentrée, tout en constituant un soulagement pour le président de la République. Celui-ci, en cas de validation, aurait été exposé au dilemme de sa promulgation, autrement dit à un arbitrage entre agriculteurs pro-loi Duplomb et signataires de la pétition réclamant son abrogation.
Pour le gouvernement Bayrou, divisé sur un texte présenté par certains comme une aberration au regard de la science et par d’autres comme une réponse au mouvement de colère des agriculteurs de 2024, l’arbitrage du Conseil constitutionnel devrait théoriquement clore le débat. L’ardeur que mettra ou non l’exécutif à défendre la décision logique et équilibrée des gardiens de la loi suprême contre ceux qui, à droite et à l’extrême droite, ne manquent jamais d’opposer le « peuple » aux juges en dira long sur l’Etat de droit en France.
Le Monde
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