Blanche Leridon, essayiste : « Désormais, deux mondes démocratiques parallèles se dessinent et s’antagonisent »

Les trêves politiques estivales – aussi relatives et circonscrites soient-elles – offrent le luxe de la réflexion et de la prise de recul. Celle de 2025 était particulièrement attendue, tant le rythme de ces six derniers mois fut effréné, suivant le tempo d’un Donald Trump sous stéroïdes, qui a littéralement consumé le commentateur politique.

A l’issue de cette demi-année, de premières intuitions se dégagent, et je voudrais formuler celle-ci : si l’affrontement entre démocraties et régimes autoritaires a structuré le premier quart du XXIe siècle, les années qui viennent pourraient bien opposer la démocratie contre elle-même. Cette intuition n’est pas seulement dictée par la présidence Trump. Des réactions qui ont suivi la condamnation de Marine Le Pen, reconnue coupable de détournement de fonds publics en mars, jusqu’à l’investiture du président polonais Karol Nawrocki, en passant par l’Italie de Giorgia Meloni, une série d’événements, d’inflexions dans le discours, participent d’une même dynamique.

Quelle est-elle ? Jusqu’à tout récemment encore, une démarcation plus ou moins solide et claire séparait la démocratie – reposant sur l’Etat de droit – des autres régimes – illibéraux, dictatoriaux ou autoritaires. Une forme de consensus prévalait autour d’une cartographie mondiale. Les démocraties s’amenuisaient, certes, mais on pouvait toujours aisément les identifier, les compter, les distinguer de leurs pendants autoritaires, qu’ils soient chinois, russe, iranien, turc ou indien.

Aujourd’hui, la scission se fait au sein des démocraties elles-mêmes, leur définition ayant cessé de faire consensus. L’Amérique de Donald Trump est le plus éloquent exemple de ce que l’on pourrait appeler un « schisme démocratique », ou l’apparition de « démocraties parallèles ». D’un côté, le camp MAGA (« Make America Great Again ») défend sa vision littérale et intégrale, où le pouvoir accordé par le peuple ne doit subir aucune entrave. Une vision qui voit dans l’Etat de droit et les contre-pouvoirs des obstacles à l’accomplissement efficace de la volonté populaire. Elle promeut une liberté d’expression sans limite et critique avec virulence ce qu’elle appelle l’« Etat profond ». Cette vision s’oppose à une tout autre lecture dite « libérale », attachée aux contre-pouvoirs et à l’Etat de droit, à l’indépendance de la justice, aux droits individuels et à ceux des minorités. Une vision qui, en France, défend la liberté d’expression tout en confiant à la loi le soin d’en déterminer les limites.

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