Charles Dantzig, écrivain : « Faire le pari de l’allégresse »

Rabat-joie gouverne l’Occident. Depuis le 11 septembre 2001 peut-être, le continent politique ainsi nommé est pris d’une rage qui fait grincher commentateurs, intellectuels et politiciens à l’affût de suffrages. Les grincheux ont toujours bruyamment existé, et sans doute en faut-il pour défouler la part de mauvaise humeur de toute société mais, depuis vingt-cinq ans, j’ai l’impression de longer un chenil rempli de jeunes et vieux roquets. Leurs aboiements suivent la partition d’un lexique connu : , , (s’émouvoir contre), (s’indigner contre) et ainsi de suite. Leur amertume bondit à l’appel de coups de sifflet se renouvelant tous les quatre ou cinq ans : il y a eu , puis , puis , puis , en ce moment, S’ensuivent une hargne et, bien pis, une morosité qui déborde des réseaux sociaux et des chaînes de télévision sur les romans, les films, la chanson, les mines des gens. Et qu’est-ce que cela veut dire ? Rien.

Il y a les choses et la façon dont on décide de prendre les choses. Aucun rapport entre les deux. Pendant la guerre de 14, alors que l’Allemagne et ses alliés tentaient d’envahir la France, Paris pétillait. Picasso et Matisse peignaient des tableaux qui n’avaient rien à voir avec les désastres, Satie, Cocteau et Diaghilev montaient le ballet . Le monde va rarement très bien, et je pense que la guerre est perpétuelle, serpent qui montre son dos à un certain moment à Alep, à un autre à Gao, à un autre à Donetsk, et qu’elle sera éternellement là. Tout a toujours été pire. Il est d’ailleurs à noter que la grincherie qui accable la France a lieu sans guerre ni ruine économique, avec une criminalité amoindrie, etc. L’amertume est d’un confort si câlin ! Comme elle permet de se croire à la fois grave et incompris !

Banksy et Kamala

La déraison se croyant raison pourrait être la définition de l’humeur de toute société à un moment donné. Société est un mot vague, car toute la société ne pense pas uniformément, mais il existe un état d’esprit de demi-penseurs, de commentateurs, de manipulateurs, de naïfs, sinon majoritaire, du moins envahissant, qui, pour ainsi dire, fait boule. Cette boule va dans la même direction sans autre raison que l’habitude du chenil. Et puis, sans beaucoup plus de raisons, tout d’un coup, elle change de direction. Les états d’esprit sont lents à bouger, parce qu’ils ne sont pas de la pensée, mais de l’humeur. L’humeur est cyclique. Il me semble que, en ce moment précis, ces quelques semaines d’août 2024, nous assistons aux prémices d’une déviation de la boule.

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